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MODALITÉS TERRORISTES DU « PASSAGE À L’ACTE »

Les attentats terroristes auxquels nous assistons depuis plusieurs années, et dont la fréquence semble s’être accélérée, sont-ils du même ordre que les «meurtres de masse» fréquents aux USA ? S’agit-il de suicides déguisés en massacres ? Quels rôles jouent les religions et les idéologies dans ces processus de radicalisation extrême. Quelles différences avec d’autres terrorismes du 20e siècle ou du 19e siècle ? En quoi ce que la tradition psychanalytique et psychiatrique a appelé «passage à l’acte» a-t-il à voir avec ces phénomènes ?

 introduction et question (Lille, citéphilo, le 21 novemebre 2015)

notes pour le débat (Geneviève Morel)

 

Introduction

Débattre des causes des départs (et des actes) de ceux de nos concitoyens qui s’engagent pour la cause de l’état islamique notamment, ou d’autres groupes terroristes islamistes.

Donner des explications de la radicalisation, un mot imprécis et qui évoque des choses qui ne correspondent pas à ce qui se passe (politique, artistique, un mot qui évoque le fait d’aller à la racine des choses, faux), un mot équivoque qui noie le poisson entre politique et religieux. Explications données très nombreuses : sociales, psychopathologiques, politiques, religieuses, psychologiques. La prévention choisie en résulte.

 Le britannique Jihadi John vient d’être tué par l’armée américaine, bourreau de James Foley et bien d’autres. Anglais d’origine koweitienne, Beaux quartiers de Londres, études, spécialiste informatique de l’EI, devenu très religieux très jeune et voulait partir depuis longtemps, empêché par les services secrets anglais, en vain. Une volonté derrière, une décision.

3800  personnes impliquées ou tentées (« signalements pertinent » selon le ministre de l’Intérieur) en France, cela fait beaucoup de volontés qui convergent, c’est une foule, et on ne peut pas réduire cela à la pathologie, même s’il y a sûrement de nombreux cas qui y obéissent. On constate l’existence d’une foule qui se met hors nos lois politiques, humanistes, laïques, qui ne reconnaît pas l’interdit du meurtre ni la liberté des choix religieux et politiques d’autrui. Qui passe au-delà au nom d’un engagement, d’un idéal plus fort que tout. Même s’il y a une volonté politique qui les manipule depuis l’Irak et la Syrie, peut-on tout expliquer par l’endoctrinement, l’idéologie ?

Peut-on se servir ici de la psychanalyse dans la mesure où elle ne pathologise pas les comportements, où le normal et le pathologique y sont en série ? La psychanalyse donne une place éminente à l’acte, qui n’est pas pathologique bien au contraire. Lacan considérait même que l’acte analytique était un modèle du genre.

L’acte, vu depuis la psychanalyse, n’est pas une action : marcher est une action. Seules certaines marches deviennent des actes. L’acte de franchir le Rubicon pour César après un rêve d’inceste, l’acte d’Angela Merkel d'ouvrir les frontières aux réfugiés sans limitation de quota au départ (« wir schaffen es » "= nous le ferons" mais "schaffen" signifie "créer") (on ne sait pas de quoi elle a rêvé avant).

(Angela Merkel, « wir schaffen es ».

C'est au détour d'une conférence devant un think tank dédié aux questions européennes, mercredi, que Wolfgang Schäuble a lâché sa bombe. "  Les avalanches peuvent se déclencher si un skieur imprudent s'engage sur la piste et déplace un peu de neige. Maintenant, où se trouve l'avalanche, dans la vallée ou encore en train de dévaler le haut de la pente, on ne le sait pas  ", a-t-il déclaré. Dans la bouche de Wolfgang Schäuble, l'afflux de réfugiés est décrit comme une catastrophe naturelle susceptible de tout détruire sur son passage. Il suggère même qu'Angela Merkel serait une "  skieuse imprudente  ", déclenchant par mégarde un cataclysme dont le pire est peut-être encore à venir. En opposition frontale avec le "  Wir schaffen das  " ("  nous allons y arriver  ") prononcé par la chancelière en septembre, son ministre des finances insiste pour la première fois sur les conséquences éventuellement dramatiques de la ligne défendue par Mme  Merkel. (idem, cf le monde du 14 novembre) et en fait une catastrophe naturelle déclenchée par un acte manqué.)

Ces actes supposent un contenu symbolique très fort en arrière plan et une position du sujet de l’acte qui assume ce contenu symbolique. Des signifiants, des paroles, l’inconscient, s’interposent et subvertissent l’action. Le sujet en est changé, transformé, on ne le reconnaît plus. L’acte se mesure à ses conséquences : là vient aussi l’interprétation qui varie… Ex Schaüble, il nie le caractère de l’acte, il en fait une catastrophe naturelle, une erreur de conduite, un acte manqué qui entraîne une catastrophe…)

Repartons de Freud  et de l’acte manqué, où l’inconscient se mêle de l’action. Le suicide peut en faire partie des actes manqués (accident suicidaire). Ex d’acte manqué criminel, Freud lui-même avec une vieille dame, dans Psychopathologie de la vie quotidienne, 1901. Lacan a distingué diverses sortes d’actes dans les années 60 :

1) Passage-à-l’acte, on est éjecté de la scène du monde, comme lorsqu’on saute par la fenêtre. Refus pathologique de savoir ce qu’on est en train de faire, refus du symbolique. La fugue, qu’on croit moins grave, est de cet ordre aussi et peut nous aider à penser les départs en Syrie. Certains jeunes partent ainsi sans retour. Mais cette éjection n’implique pas qu’il n’y ait pas décision, voire préparation. C’est toute la complexité de la notion de responsabilité dans les PA. Après un PA, souvent, on ne peut pas en dire grand chose,

Après un suicide encore moins. C’est l’acte le plus radical au fons : l’attentat-suicide est de cet ordre.

2) Acting out, on monte sur la scène jouer un rôle à son insu mais en pleine lumière, pour qu’on vous l’interprète - ce que fait l’hystérique freudienne. C’est en série avec le symptôme, il y a un savoir à déchiffrer, c’est l’inverse du PA. On rend la parole au sujet : c’est ce qu’on essaie de faire avec les jeunes « radicalisés », certains d’entre eux, avant qu’ils partent. C’est un pari.

Mais on ne peut pas forcément grand-chose contre un PA déjà effectué ni contre un acte décidé.

Question 1) à Catherine Adins : le silence après le PA, comment l’acte change-t-il un sujet ? Que faire avec les gens qui ont peut-être tué et qui reviennent de Syrie ?) Peut-on en revenir (du meurtre) et comment ? La parole a-t-elle une efficacité symbolique sur ceux qui en ont été éjecté lors d’un PA ? Quelle a été son expérience avec les meurtriers et avec les jihadistes, par exemple, quelles différences ?

L’idéal qui tue

Le psychiatre Maurice Dide, aujourd’hui méconnu, avait finement étudié la clinique de la cruauté dans son ouvrage « Les idéalistes passionnés » (1913). Un chapitre s’intitule « Idéalisme de la beauté et de la justice aboutissant à la cruauté ». L’alliance de l’idéal, source d’aspiration utopique, et de la passion, définie comme « une inclination fixe », ie une tendance affective qui efface toutes les autres », lui apparaît essentielle chez un certain type de personnes qu’il qualifie « d’idéalistes à caractère altruistes » dans lesquels il range Torquemada, Calvin et Robespierre. Sade est quant à lui qualifié d’« idéaliste égocentrique esthétique ».

Il semble que des terroristes comme Jihadi John soient de tels idéalistes passionnés à caractère altruiste : ils veulent rétablir un nouvel ordre politico-religieux qui est une utopie theologico-politique de retour à un âge d’or (le supposé Islam des débuts), ils s’engagent jusqu’à la mort et ne reculent devant aucun moyen, aucune cruauté – celle-ci devenant religieusement licite. Contre ce type de décision et d’acte qui va contre leur éducation, les mœurs des pays des « droits de l’homme » où ils vivent, nous sommes peut-être dans un certain déni en classant ces jeunes comme fous. Nous n’arrivons pas à penser.

Question 2) à Gilles Kepel sur la place des idéaux et particulièrement la force d’un idéal politico-religieux, lié à l’Islam et au Coran, qui s’incarne dans le Jihad. En Occident, ne sous-estime-t-on pas la force décuplée d’une religion armée, étant trop laïcisés et cela depuis très longtemps ? Pourquoi le Jihad aujourd’hui ? Pourquoi cela vient-il de l’Islam ? Pense-t-il que la religion est instrumentalisée par le politique (services secrets de Saddam Hussein) ou que c’est elle comme Idéal qui attire tant de gens et pourquoi ? Pourquoi cette soif d’idéaux ?

Attentat-suicide :

Robert Pape a écrit un livre célèbre, « Dying to win » en 2006, qui a étudié tous les attentats suicides entre 1980 et 2003, soit 315 attaques répertoriées dans le monde entier par une équipe internationale et polyglotte qui a étudié les journaux locaux. Ces attentats apparaissent avec le Hezbollah en 1980, pas avant (mis à part les Kamikazes japonais sur ordre). Cela se répand dans les années 90 avec les Tigres tamouls, puis les Palestiniens en Israël à partir de 1994. 1995 : Al Quaeda, Turquie, PKK, 1996, etc. Selon lui les explications psychologiques ou sociales échouent et aussi les religieuses (endoctrinement). Il s’agit de gens qui vont bien, pas pauvres, organisés et avec des buts politiques spécifiques. Il s’agit d’une stratégie qui utilise le pouvoir de la violence pour diviser les sociétés civiles, avec le support des masses. Il fait donc rentrer ces attentats dans le cadre du suicide altruiste selon Durkheim : sacrifice par devoir au nom du groupe, et le seul motif est selon lui l’occupation étrangère et non le fondamentalisme islamiste (d’où l’idée que les Américains doivent se désengager des conflits externes). On serait dans le cadre de l’acte décidé selon Lacan. Mais évidemment, cette analyse ne répond pas à la situation de ces dernières années en France où ce sont des Français qui attaquent comme Merah, Coulibaly, les Kouachi. S’il s’avère que ce sont des Syriens qui attaquent dorénavant, on pourrait être à nouveau dans ce type d’analyse. Question 3) à Gilles Kepel : que pense-t-il de cette thèse du suicide altruiste ?

Et 4) à Catherine Adins aussi. Différence entre mass-murder et jihadistes.

Certains auteurs mettent en série les mass-murders, style Columbine aux USA, et les attentats-suicides terroristes. Ainsi Olivier Hassid et Julien Marcel, un juriste et un économiste, dans Tueurs de masse, (Eyrolles, 2012) mettent en série Merah et ces tueurs américains. Leurs mobiles : après un massacre spectaculaire qui est aussi une vengeance haineuse, mettre en scène leur suicide comme des super héros, maîtriser leur image de façon mégalomaniaque moyennant vidéos posthumes ou blogs. Cependant, quand on lit l’intéressant recueil « Lalogique du massacre – derniers écrits des tueurs d emasse » (Inculte documents, 2010), qui liste ces écrits posthumes, on s’aperçoit d edeux traits qu’on ne retrouve pas forcément dans les mise-en –scène spectaculaires de Merah ou Coulibaly : d’une part, la folie délirante manifeste en général paranoïaque, et d’autre part, la solitude. Les Mass-murders sont dans la règle des « loups solitaires » or on s’aperçoit maintenant que ce n’est pas le cas des terroristes, qui agissent en petits groupes (fratrie, vieux amis de prison), après apprentissage (stage en Irak, Syrie ou Yemen) et sur instruction externe, même si elles ne sont pas centralisées au sommet. Question à Catherine Adins sur le côté solitaire et groupé des Passages-à-l'acte (entraînement ?) et à Gilles Kepel sur les loups solitaires et les fratries : la société jihadiste.

Rôle de l’image et du virtuel : Est-ce que le « plaisir de tuer » (2007) - pour reprendre le titre d’un ouvrage de Michel Dubec, expert psychiatrique notamment de Touvier, Guy Georges et des terroristes comme Rouillan ou Salah (sunnite converti chiite, attentats pour le Hezbollah de 1985-6 à Paris) - pour citer des meurtriers normalement différenciés en collaborateur nazi, tueur en série, terroriste -, est-ce que cette expression est pertinente, « le plaisir de tuer », d’une part et est-ce que l’impact des jeux vidéos et de la propagande par l’image (exécutions fascinantes) a une importance cruciale dans l’endoctrinement.

 
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